Les Airs Spirituels
de Mr de Bacilly.
Avis de Conséquence

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AVIS DE CONSEQUENCE,

Touchan la Nouvelle Edition des Airs Spirituels de Mr de Bacilly.

LES deux Prefaces qui ont paru dans la premiere Edition de mes Airs spirituels sont si amples & si instructives, qu'un des plus grands Escrivains de nôtre Siecle, a bien voulu dire dans une Lettre qu'il m'a écrite q'uelles luy valent des Livres entiers d'instruction pour le Chant. Cependant comme je fais une nouvelle Edition de mes deux Livres, je suis obligé de supprimer ces deux Prefaces, pour en mettre une nouvelle encore plus ample & plus instructive que les precedentes. Voicy donc ce qu'il est necessaire qu'on lise avec attention, si l'on veut estre pleinement informé du merite de ces sortes d'Airs, & de la difference de cette Edition d'avec les deux precedentes, soit de la Graveure, soit de l'impression en Caracteres ordinaires.

Plusieurs Compositeurs de Musique ont travaillé sur les Ouvrages de Messieurs Godeau, Brebeuf & autres excellens Poëtes, qui n'ayant point preveu que leurs Vers deussent estre mis en chant, n'ont pas eu soin d'y employer des paroles propres pour la modulation; Ainsi l'on peut dire que les Chants que l'on y a faits, ne peuvent passer pour ce que nous appellons précisément Airs, mais seulement pour des Motets François. J'ay parcouru tous ces beaux Ouvrages Poëtiques, même ceux de M. Arnauld d'Andilly & de Monsieur de Corneille dans son Imitation & dans ses Heures en Vers François ; & tout cela ne m'a pas fourny dequoy faire un seul Air qui eût toutes les circonstances que l'on demande: Car enfin il faut que ces sortes d'Airs soient si approchans des Airs du monde pour estre bien receus, qu'à peine on en puisse connoître la difference. Or est-il que dans les Airs du monde on n'ose y employer aucun mot qui ne soit du genre de ceux qu'on a accoûtnmé d'entendre ; On pourroit appeller cela bigearrerie, si on n'estoit obligé de deferer à l'usage qui est la regle de bien des choses.

Je n'ay donc trouvé dans les Livres de ces Illustres Poëtes que deux Madrigaux qui m'ayent fourny de la matiere pour ces sortes d'Airs, encore ay-je esté obligé de retrancher ou changer plusieurs mots, afin de les mettre dans le goût des Airs ordinaires, qui demandent tant de severité; il y en a un de M.Godeau qui commence par ces mots, Toy qui vois d'un oeil plein d'envie; l'autre est de M. de Corneille tiré de son Imitation, Des vrais Sçavans la Sagesse profonde. Tout le reste est tiré des Stances Chrétiennes de M. l'Abbé Testu, mesme quelques seconds couplets qu'il a bien voulu ajoûter aux extraits qu j'en ay faits, à la reserve de quelques Madrigaux que j'ay composez, & que je sçay qui n'ont pas dépleu, non plus que certains canevas (c'est le terme) que j'ay mis sous les Preludes sur chaque ton pour s'en servir comme d'une memoire artificielle pour retenir ces sortes de Preludes, sans quoy on auroit de la peine à les apprendre. Ces canevas sont mesme assez passables pour tenir lieu de veritables Airs. C'est un nouvelle invention dont on ne s'est point encore avisé, & que je n'ay pratiquée que par la solicitation de plusieurs curieux qui m'ayant ouy preluder en chantant à la maniere des Instrumens de Musique, ont souhaité d'en user de mesme; & comme je leur ay representé que ces sortes d'Impromptus, ne pouvoient se noter aussi promptement qu'on les chante, & qu'ainsi cela dépendoit d'un feu de genis qui échape, ils se sont opiniastrez à m'en demander; de sorte que pour les satisfaire j'ay bien voulu en composer quelques-uns, qui ne sont pas si bons que ceux que l'on fait de caprice, mais aussi souffrent-ils plus aisément des paroles, qui bien qu'elles ne soient que de simples canevas, (puisqu'il faut me servir de ce mot) ne laissent pas d'estre si mal-aisées à ajoûter au chant, qu'il est presque impossible d'y réüssir par la difficulté de placer les rimes, de trouver des mots qui se repetent, d'autres qui souffrent de la diminution ou Broderie, & d'autres qui s'acommodent au chant composé.

Mais pour revenir au dessein que je me suis proposé de faire voir la difference des compositions que l'on a faites sur des paroles de pieté, dont les unes se peuvent appeler des Motets, les autres des Cantiques, & non pas précisement des Airs; J'ajoûteray que plusieurs personnes de pieté se sont contentez de faire faire des paroles spirituelles sur les Airs qui courent dans le monde, pretendant par ce moyen rendre pieux ce qui est profane; mais ils n'ont pas consideré que ce changement de mots souvent ne quadre plus avec le chant composé, & que les sillabes longues ou bréves, n'y ayant plus le mesme rapport que les supprimées, cela n'a fait qu'atirer du mépris de la part de ceux qui n'ont déja que trop de penchant à censurer les Airs qui portent pour titre le mot de Spirituels & de devotion, comme quelque chose de fade & d'insipide. On remarque aisément cette verité non seulmenet dans les seconds couplets des Airs que l'on chante, que chacun sçait ne se rapporter pas au chant des premiers pour ce qui regarde la quantité des syllabes mais mesme dans un premier couplet lors qu'un air estant composé on vient à en changer quelques mots qui y estoient auparavant, on ne peut plus y ajuster les mesmes notes, ce que j'ay déduit plus au long dans mon Traité de la methode de chanter, lequel sans doute peut donner de grandes lumieres à ceux qui aspirent à la perfection du chant, pourveu qu'ils veuillent se donner la peine de le lire avec attention, & qu'ils ne se laissent pas aller aux persuasions de ceux qui par envie ou par ignorance les en détournent en semant de main en main cette belle maxime,

Je sçay de plus que la corruption du siecle est si grande que le seul nom d'Airs Spirituels donne d'abord du dégoût, principalement aux personnes préocupées de peu d'estime, & peut-estre de mépris pour tous les Airs de cette nature, qui ont paru jusqu'icy. Mais je sçay par experience que pour peu qu'on se rende à la raison, & qu'on les veuïlle considerer attentivement, on y trouvera tout ce qu'on peut souhaiter, mesme tous les termes usitez dans les Airs ordinaires, qui est un grand poinct pour les faire considerer, & que nul Auteur n'avoit pratiqué jusqu'à present, comme l'a fait l'Auteur de ces admirables Stances, sans songer qu'on les dût mettre en chant, ainsi qu'il est aisé de juger par les extraits que j'en ay faits, qui font bien voir que s'il l'avoit preveu, il auroit fait des Madriguax, je veux dire des couplets plus propres à faire des Airs de differente mesure. La mesme experience m'a fait connoistre que la pluspart de ceux qui ont d'abord condamné ces Airs sur le seul nom de Spirituels, ne sont pas plûtost sortis de leur emportement, que non seulement ils les ont écoutez avec plaisir, mais qu'ils en ont apris autant que je leur en ay voulu enseigner preferablement aux autres chansons. Parmy ces personnes-là il y en a qui tiennent le premier rang dans le chant, & qui assurément ont consideré ces sortes d'Airs par toute autre raison que par un principe de pieté, ce qui me fait esperer que si les plus mondains y trouvent dequoy se satisfaire, les personnes pieuses & qui passent leur vie dans les Monasteres ne les dédaigneront pas, ou du moins en feront faire d'autres par les Maistres de la Ville, dont elles se servent pour instruire leurs Seculieres, si ces Messieurs ne veulent pas se servir de ceux-c , soit qu'ils ne les trouvent pas à leur gré, ou plûtost qu'ils craignent de ne les pas montrer fidellement, faute de sçavoir l'intention de l'Auteur, qui, quelque soin que l'on prenne, ne se peut assez bien exprimer en caracteres de Musique. Je donne avis à ceux qui se feront enseigner ces Airs, de ne pas se laisser surprendre à l'ignorance ou à la malice des Maistres, & de s'adresser à ceux qui non seulement sçachent la maniere de chanter, & bien appliquer tous les ornemens, toute la grace & sur tout le mouvement, & l'expression conforme au sens de ces paroles si naturelles, mais encore qui agissent de bonne foy, & ne suppriment pas ces circonstances, afin de donner du dégoût en les méprisant; ce qui est assez frequent parmy les Maistres en cét Art; & ce que j'ay déja reconnu en quelques personnes qui s'estoient laissé abuser, & que j'ay détrompées, en les chantant de la maniere que je pretends qu'ils soient montrez. Ces mesmes personnes m'ont avoüé qu'elles ne les recounoissoient plus; C'est à quoy j'exhorte autant que je puis ceux qui ne peuvent pas les apprendre d'eux-mesmes, faute de sçavoir le chant dans sa perfection, & pour n'en avoir qu'une foible connoissance : Car enfin comme j'ay assez remarqué dans mon Traité de la Methode de chanter, il y a bien de la difference entre chanter la Note seule d'un Air, & en chanter les paroles ; & mesme entre chanter en une Langue ou dans une autres. Nous voyons par experience que tel chante bien du Latin qui ne chante pas bien du François, où il se rencontre mille doutes sur le papier qui arrestent tout court ceux qui ne sçavent pas la quantîté des syllabes, c'est à dire, si les syllabes sont longues ou bréves, ny mesme le sens & la signification, faute d'étude des Lettres, ce qui se remarqueroit aisément si on mettoit les Maistres à l'épreuve sur cela, & qu'on fust persuadé que ce que la pluspart montrent, ils en ont peut-estre pris plus de Leçons que ceux à qui ils enseignent.

Je diray encore en passant que ce que l'on nomme Motets François, quelques beaux qu'ils soient, ne suffisent pas aux Maistres pour s'instruire dans la maniere de chanter, à moins que de mieux s'étudier à chanter en sa Langue naturelle, & tascher d'en supprimer les paroles qui sont contre la bien-seance. Au reste l'on chante si souvent & avec tant de plaisir des Airs en Langue Estrangere, sur tout en Langue Italienne, & en Langue Espagnole, sans en sçavoir la signification, les paroles en pourroient estre de devotion, & tres-souvent elles sont fort chetives & fort plates; Pourquoy donc dédaigner de chanter du François qui ait un si grand rapport avec celuy des Airs profanes, à cause qu l'on en sçait la signification? N'est-ce pas leur rendre une fort grande injustice? Il y a encore une chose à considerer dans ces Airs Spirituels, qui sont qu'on s'instruit, pour ainsi dire, encore davantage dans la Methode de chanter, si on la considere dans toute l'étenduë de sa perfection. La raison est, que comme l'Expression est l'ame du chant, il est bien plus seant de la pratiquer dans les paroles qui regardent l'amour de Dieu, que dans celles qui n'ont pour objet que l'amour profane, sur tout parmy les femmes, dont la modestie les empesche d'exprimer les passions en chantant, à moins qu'il ne s'agisse de l'amour de Dieu, qui est le seul but que nous devons avoir, & pour lequel on ne peut avoit trop d'attachement pour le Chant.

Voila, ce me semble, assez expliquer le merite des Airs Spirituels par dessus les autres Airs. Cependant j'aprens avec douleur que dans plusieurs Monasteres on se sert plustost des Chansons profanes pour instruire les Seculieres, que des Airs de devotion, & cela par l'ordre des Maistres dont elles se servent, qui sçavent que pour les bien montrer ils seroient obligez de consulter l'Auteur, afin de sçavoir son intention (c'est le terme) laquelle ne se remarque pas si bien en caracteres de Musique, comme à les entendre de vive voix, n'ayant pas assez de genie & de capacité pour sçavoir au juste tout ce que l'on peut faire d'ornemens dans un Air simplement notté, & faire le choix & l'application de ces ornements: Cét inconvenient ne se rencontre pas à l'égard des autres Airs. On sçait par une espece de tradition la maniere dont les Auteurs pretendent qu'ils soient chantez, & on n'a pas besoin de les consulter di ectement, puis qu'ils les communiquent à tant de Subalternes, qu'on peut les sçavoir tost ou tard, pour peu qu'on ait de commerce avec ceux qui les apprennent de l'Auteur.

Je ne veux pas oublier ce qui m'est arrivé de la part d'un Seigneur de la Cour aussi élevé par son rare merite, que par sa dignité, qui se preparant à critiquer ces Airs Spirituels, en fut tellement édifié, aprés qu'il me les eut entendu chanter, qu'il dit hautement ces mots, il faut bien que ces Airs m'ayent touché sensiblement, puis que moy qui aime peu les Airs serieux, à plus forte raison les Airs pieux, je trouve ceux-cy admirables. Et comme je luy en chantay un travesty en profane par l'incomparable Madame de la Suze, il avoüa contre son attente que le couplet estoit alteré & affoibly par le changement de tres-peu de mots. Le voicy des deux manieres.

J'ay méprisé ta sainte Loy,
Mais enfin je reviens à toy,
Aprés t'avoir esté rebelle,
De ton divin amour je me sens enflammer,
Eternelle beauté, beauté toûjours nouvelle,
Comment ay-je vécu si long-temps sans t'aimer?

Autre maniere.

J'ay voulu suivre une autre Loy,
Mais enfin je reviens à toy,
Aprés t'avoir esté rebelle,
Par tes charmans appas je me sens enflammer,
Source de mill attraits, beauté toûjours nouvelle,
Ay-je pû vivre, helas! un moment sans t'aimer?

Il est donc aisé de juger que l'aversion qu'on a pour les Chansons Spirituelles n'a point d'autre fondement qu'une préoccupation, soit de la part des Maistres soit de la part de certains esprits foibles, qui loin d'aider à les faire valoir parmy le monde, comme ils devroient, si leur zele estoit bien parfait, aiment mieux entendre des Airs qui souvent passent le profane, & vont jusqu'à quelque chose de pis, que d'entendre des Airs de devotion de ce caractere & de ce merite, qui d'ailleurs ne conviennent pas à ces Maistres ordinaires, dont ils se servent pour instruire. estant plustost le faict d'un Chantre Ecclesiastique, duquel toutefois ils font scrupule de se servir pour Maistre, quoy qu'enfin supposé que le chant soit un exercice innocent, il soit plus à propos de se servir d'un Ecclesiastique, (ce qui se pratique dans les Cathedrales des Provinces qui fournissent à la Ville des Maistres de chant) qui en enseignant, aura des égards, que des Maistres Seculiers n'auront pas, & examinera si dans les Chansons profanes que l'on veut apprendre, il n'y a rien qui choque la modestie. Je voudrois bien demander à ces Personnes qui se piquent d'une si grande regularité, si leurs filles ont plus de droit de chanter des Airs profanes qu'un Ecclesiastique n'a de les enseigner, supposé qu'elles y trouvent quelque chose qui choque la bien-seance.

Quant à la difference de cette Edition d'avec les precedentes, il est à propos de répondre aux reproches que l'on m'a faits, ou plustost à celuy qui a gravé ces Airs, de n'avoir pas eu tout le soin possible pour les rendre plus corrects, en mettant les paroles directement sous la note; (Car pour l'obmission des Lettres majuscules, & des ponctuations, cela est de si peu d'importance en faict de Musique, que l'on n'a jamais eu aucun égard à ces observations frivoles,) Ces reproches m'ont porté à faire voir au Public qu'il y avoit bien d'autres fautes à corriger que ces bagatelles, puis qu'il est vray que dans cette derniere Edition on trouvera des changemens & des augmentations si considerables, que ceux qui les voudront parcourir avec attention en seront surpris, n'ayant presque pas un Air qui ne soit plus parfait, soit pour les paroles tant des premier que des seconds couplets ajoûtez ou changez, soit pour la modulation que l'on y trouvera bien plus agréable, mesme pour les ornements que l'on a ajoûtez aux premiers couplets, pour en faciliter l'intelligence, & des seconds que l'on a rendus bien plus corrects & plus agréables; de sorte que l'on peut dire que mal-aisément on pourroit faire mieux, quoy que la Preface de l'impression de ces mesmes Airs, qui a paru depuis cinq ou six ans en caracteres ordinaires de Musique, sous le Titre de differens Auteurs ait pû dire a mon des-avantage m'ayant confondu avec une infinité d'autres, qu'elle dit exceller en la maniere de chanter & d'orner les Airs & leurs seconds couplets. J'ay bien voulu le souffrir aussi bien que cette impression faite sous le Titre de differens Auteurs, avant les dix ans portez par mon Privilege, quoy que pour sauver ce titre on n'ai pas ajoûté un seul Air aux deux livres gravez, où l'on a mis les Airs dans l'ordre qu'il estoient sans y rien changer. Les uns m'ont accusé de trop d'indulgence de ne me pas plaindre à la justice de cét attentat, & d'une impression qui m'estoit si préjudiciable, jusques-là qu'un des plus grands Seigneurs du Royaume a dit qu'il n'y avoit que l'Auteur Normand qui laissait perdre son bien faute de plaider. Les autres m'ont congratulé en ce rencontre, en me disant qu'il estoit glorieux pour moy qu'aprés huit années que le debit de mes Livres gravez s'est fait par tout le Royaume, on ait bien voulu hazarder une impression en caracteres ordinaires au danger d'un procés que l'Imprimeur ne pouvoit éviter de perdre, d'une amende & d'une confiscation des exemplaires, pour avoir contrefait des Livres dont il ne pouvoit ignorer l'Auteur, en ayant debité pour luy quelque temps, & inferé les avis de ce debit à la fin de plusieurs Livres qu'il a coûtume d'imprimer tous les ans.

J'ay pris ce party & me suis contenté de supprimer ce qui estoit gravé, & de faire une nouvelle Edition augmentée de plusieurs Airs, mesme d'un recit à la maniere des Scenes des Operas